Les faveurs du régime mère-fille renforcées par le juge mais surveillées par le fisc

Les faveurs du régime mère-fille renforcées par le juge mais surveillées par le fisc

Le régime des sociétés mères et filiales est sans conteste une pierre angulaire de la fiscalité des entreprises. Il garantit l’imposition des bénéfices au nom de la seule entité qui les a réalisés en permettant leur distribution au profit d’actionnaires soumis à l’impôt sur les sociétés sous un régime de neutralité fiscale quasi-complète. Pendant de nombreuses années, ce dispositif pourtant très appliqué n’a guère soulevé de difficulté. Mais il connaît dans la période actuelle une intense actualité qui est le fait du juge et de l’intervention des pouvoirs publics.

 

Plusieurs litiges se sont noués autour de la question de l’appréciation du seuil minimal de participation exigé pour pouvoir bénéficier du régime d’exonération des dividendes. L’article 145, 1-b  du CGI pose la condition que les titres de participation doivent représenter au moins 5% du capital de la société émettrice. Le 6-bter du même article 145 prévoit l’exclusion du régime des société mères à l’encontre des titres auxquels ne sont pas attachés des droits de vote, sauf si la société détient des titres représentant au moins 5% du capital et des droits de vote de la société émettrice.

Le juge a été saisi de l’interprétation et de la combinaison de ces dispositions à propos des titres détenus en usufruit. En 2012, le Conseil d’Etat a estimé que l’usufruitier ne disposant pas, notamment vis-à-vis du capital et des droits de vote, de droits équivalents à ceux d’un propriétaire détenteur d’un titre, il ne pouvait bénéficier de l’exonération (CE 20-2-2012 n°321224). Il a suivi en ce sens la position qui avait été précédemment adoptée par la cour de justice des communautés européennes, contre l’avis de son avocat général qui lui avait proposé une approche moins empreinte de juridisme (CJCE 22-12-2008 aff 48/07).

Un autre éclairage de la combinaison de ces règles, favorable aux entreprises celui-ci, a été fourni à propos de participations comportant des titres dépourvus de droits de vote. Se livrant à une interprétation constructive, le Conseil d’Etat a en effet jugé que l’accès au  régime des sociétés mères ne nécessite que la détention de 5% des droits financiers. La détention des droits de vote est quant à elle nécessaire pour obtenir l’exonération effective des dividendes : autrement dit, une société qui détient 6% des droits à dividendes et 4% des droits de vote d’une filiale sera exonérée à raison de 2/3 des dividendes perçus, correspondant aux 4% des titres assortis de la plénitude des droits (CE 5-11-2014 n°370650). Si elle détient plus de 5% des droits de vote, les dividendes sont exonérés en totalité.

Ces deux exemples soulignent une fois de plus la nécessité de prendre en compte les méandres de la fiscalité, et l’évolution de la jurisprudence, dans l’élaboration d’une stratégie financière optimale dans l’acquisition de titres auxquels des prérogatives diverses peuvent être attachées.

Une autre difficulté d’application du régime des sociétés mères a été traitée par la jurisprudence toute récente. La question est de savoir si l’obligation de conservation des titres pendant deux ans qui est posée par l’article 145 du CGI s’applique à chacun des titres acquis où ne concerne que le socle minimal de 5% du capital de la filiale qui permet d’accéder au statut de société mère.

Les termes de la discussion sont les suivants :

  • La directive européenne relative au régime des sociétés mères n’exige un délai de conservation qu’en ce qui concerne le quantum minimal des titres qui permet  l’accès au régime des sociétés mères ;
  • Le texte de l’article 145 précise que « LES titres de participation » doivent être détenus pendant deux ans, et l’article 216 accorde l’exonération aux titres ouvrant droit au régime.

La cour administrative d’appel de Versailles a jugé que le texte de l’article 145 du CGI était suffisamment clair pour imposer un délai de conservation à tous les titres, sans que le contribuable ne soit donc reconnu fondé à invoquer utilement la directive. Ce faisant, elle n’a pas suivi l’opinion de son rapporteur public qui estimait que les dispositions de droit interne incriminées étaient peu claires (CAA Versailles 18-3-2014 n°13-873).

Le conseil d’Etat vient d'infirmer la décision de la cour de Versailles. Il a en effet jugé que dans la mesure où le législateur n'avait pas entendu traiter différemment les dividendes de filiales françaises et ceux provenant d'une source étrangère, l'article 145 du CGI devait être interprété à la lumière de la directive. Il est donc reconnu que l'obligation de conservation ne porte que sur les titres donnant droit au régime, et non sur la totalité de la participation en portefeuille (CE 15-12-2014 n°380942). Cette décision élargit de façon significative la portée pratique du régime des sociétés mères. Elle pourra conduire dans un certain nombre de situation à une révision des stratégies de gestion du portefeuille de participations.

Dernière actualité en date : la loi de finances rectificative en cours d’adoption au parlement écarte du régime d’exonération les dividendes reçus par une société mère qui ont fait l’objet d’une déduction fiscale pour la détermination du résultat de la filiale distributrice. Par cette mesure, le législateur entend mettre un terme à certaines optimisations fondées sur la création de produits hybrides : certains produits étant qualifiés de dette dans un Etat et de produit en capital dans un autre, leur mise en place combine le bénéfice d’une déduction fiscale chez la partie versante et d’une exonération fondée sur le régime mère-fille. A compter du 1er janvier prochain, l’intérêt de ces financements est remis en cause : la déduction fiscale étrangère entraînera la taxation à l’IS au taux particulièrement élevé que nous connaissons, sauf à revoir le schéma pour entrer dans les nouvelles conditions d’exonération des dividendes.

 

Publié le 15/12/2014